Aller au Louvre pour voir La Joconde, prendre en train pour Florence et être aux côtés du David de Michel-Ange, boire son iced coffee à New York avant son immanquable rendez-vous avec Les Demoiselles d'Avignon. Et pourquoi pas aller au Cameroun pour apprécier de près le perlage d'une sculpture, au Brésil pour voir la couleur vive des manteaux à plumes des Tupinambas ou enfin contempler l'or séculaire du trésor de la tombe de Toutankhamon au Caire ?
L'exposition Toutankhamon a connu un succès pharaonique avec plus d'1,4 millions de visiteurs en six mois. Ce fut l'occasion d'être au contact d'un trésor inestimable, retrouvé en 1922 par l'archéologue britannique Howard Carter. Parmi les 150 objets présents, 60 ont quitté l'Egypte pour la première fois pour une dernière tournée internationale. Cette exposition, organisée par le Ministère des Antiquités Égyptiennes, la société IMG, en lien avec le Musée du Louvre à Paris, rentrera définitivement au nouveau musée national de Gizeh en 2024 - à côté des Grandes pyramides. Ainsi, il faudra désormais aussi concevoir le fait d'aller au Caire pour voir de près ces objets issus de la tombe du plus connu des pharaons ; objets uniques et recouverts pour là-plupart d'or - "la chair des dieux" selon les croyances antiques.
Toucher des yeux un trésor inestimable de l'Égyptologie
Un siècle avant la découverte archéologique de la tombe de Toutankhamon par Carter, le chercheur Jean-François Champollion, père de l'égyptologie française découvre un moyen de déchiffrer l'écriture hiéroglyphique. Ces relations tripartites anciennes entre l'Égypte, la France et la Grande-Bretagne se réactualisent et se réinventent aujourd'hui à travers "Toutankhamon".
Historiquement, la comparaison de cette exposition avec celle de 1967 au Grand Palais, "Toutankhamon et son temps" - surnomée "l'exposition du siècle" - est inévitable. Or celle qui vient de fermer ses portes sous les toits des anciens abattoirs de La Villette a connu non seulement un public record, mais a également pu mettre en lumière - tamisée - un nombre d'objets plus important (150 contre 45 en 1967), malgré l'absence très remarquée du masque funéraire de Toutankhamon.
Ainsi, l'exposition était l'opportunité de tisser un dialogue avec ce trésor inestimable, témoin d'une découverte historique qui a réhabilité l'image du pharaon jadis oublié et aujourd'hui célèbrissime.
Voir la vie et la mort autrement
La tombe de Toutankhamon symbolise le périple - ou bien l'épreuve ? - du monde des vivants vers l'au-delà. Un lieu invisible aux mortels, mais de fait très présent dans leur quotidien : ainsi dans l'antiquité égyptienne, ces frontières étaient subtiles. Cet outre-monde accueille les âmes, les dieux et les pharaons. La tombe est donc un parcours. Les objets présents dans chaque chambre ont une valeur et une utilité particulière faisant référence au parcours de l'âme et les différentes épreuves qu'elle doit traverser. L'âme est outillée à la fois physiquement (nourriture, boissons, armes) et magiquement ( statues symbolisant une protection énergétique, potions...).
Les fresques murales présentes dans la tombe figurent également l'histoire du mort - présenté comme un être surhumain, non-terrestre - de passage dans le monde des mortels. Le plus important dans ce parcours est comment son âme va attendre l'au-delà pour continuer à aider au développement de l'Égypte depuis l'invisible. Pour les égyptiens anciens, la vie n'a pas de fin. Composée de phases, elle est éternelle.
S'émerveiller devant la virtuosité des différents métiers d'art de l'Antiquité égyptienne
La mort des Grands faisait vivre l'art du royaume d'Égypte. Plus précisément, il faisait vivre tout un village d'artisans situé à quelques kilomètres de la Vallée des Rois, lieu sacré d'inhumation des pharaons. Celui-ci était composé d'échoppes d'orfèvres, d'ébénistes, de sculpteurs, peintres et architectes - un panorama représentatif des corps de métiers mobilisés dans la réalisation des tombes royales et de leurs décors.
De gauche à droite :
Trône de Toutankhamon - Ébène, ivoire, feuille d'or - 71,0 x 40,60 x 39,10 cm
Boite en calcite peint avec un couvercle arrondi décoré de motifs floraux - calcite, obsidienne, peinture, 33 x 17 x 24 cm
Éventail de "la chasse à l'autruche" - bois, feuille d'or, 105 cm.
Ces oeuvres témoignent d'un savoir-faire raffiné combinant avec virtuosité les techniques d'art, tout en racontant figurativement la vie du pharaon défunt. Ainsi, le trône de Toutankhamon est à la fois un parangon d'ébénisterie avec son corps de siège incrusté de feuilles d'or délicatement décorées et associées à des pièces d'ivoire sur son revers ; et une figuration d'un moment politique clé de la vie du souverain : sa prise du pouvoir à l'âge de 8 ans.
Le coffre en calcite peint à la main fait lui référence au couple royal, Toutankhamon et son épouse Ankhsenamon. Les noms du pharaon et de sa femme inscrits en hiéroglyphes sont identifiables sur les côtés du contenant. Autre exemple des merveilles de la tombe unissant orfèvrerie et pièce d'apparat, cet éventail en or dit "de la chasse à l'autruche" :
Présenté dans une vitrine réalisée sur mesure pour l'exposition, cette pièce vient témoigner non seulement de la finesse du travail sur la feuille d'or, mais également la profonde symbolique de la scène. Loisir royal traditionnel, la chasse en char était pratiquée par les pharaons comme une démonstration de leur puissance. Ici, la chasse aux animaux sauvages peut être également lue comme une vision civilisatrice des actions du souverain, une marche vers le progrès. L'on remarquera un détail : une croix Ankh - symbole de vie éternelle - supportant un éventail afin que le pharaon gagne en force de vie pour vaincre les ennemis du royaume.
Des sculptures dans un état de conservation remarquable
Le dieu Amon protégeant Toutankhamon nous accueille dans la première salle de l'exposition.
Cette sculpture de plus de deux mètres en diorite présente un portrait du jeune pharaon. Ses traits ont été burinés suite aux divers actes de vindicte contre son image et celle de sa famille (damnatio memoriae). En revanche, le visage de la divinité intact conserve les traits canoniques de représentation royale et divine : ainsi, un "visage doux, féminisé caractérise d'une manière générale les portraits de la dynastie. Les yeux en amande, le menton légèrement projeté en avant et la bouche charnue correspondent tout à fait aux traits du visage de Toutankhamon tels qu'on les connaît par ailleurs"1. De fait, le roi est l'émanation du divin sur terre.
[1] https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/amon-protegeant-toutankhamon
L'autre sculpture monumentale de l'exposition est le gardien du ka du roi, son énergie vitale. Il s'agit d'un double protecteur qui accompagne le souverain toute sa vie. Ses chairs noirs - les même que celles d'Osiris - sont en pierre d'obsidienne. Dans un état de conservation remarquable, l'oeuvre mesurant 1.90m est réalisée dans un savant assemblage de bois et de bitume - doré et recouvert d'un alliage de cuivre. La forme symbolique du pagne est peut-être ce qui nous frappera le plus : si l'on se place de manière à voir le deux angles de ce tissu dressé, l'on verra apparaitre un disque solaire rayonnant vers l'intérieur de la statue ; illuminant donc une entité intérieur, l'être profond.
Statue gardienne du ka du roi portant la coiffe némès "Que vive ton ka, que tu demeures des millions d'années, toi, amoureux de Thèbes, assis, le visage offert au vent du nord, de tes yeux contemplant la félicité." - Inscription sur le Vase pour l'immortalité de Thèbes.
Plongés dans la pénombre d'une scénographie enchanteresse, les visiteurs terminent leur voyage sous le regard de la Statue colossale en quartzite de Toutankhamon, usurpée par Ay et Horemheb. Haute de presque trois mètres, elle est moins bien conservée de son pendant de l'Oriental Institute of Chicago. En revanche, la finesse du visage, l'harmonie des traits du pagne, ainsi que les détails de la double couronne et du némès sont remarquables : ils conversent leur franche polychromie.
Statue colossale en quartzite de Toutankhamon, usurpée par Ay et Horemheb
Tel le dieu Amon, divinité aux formes multiples, les expériences de visite sont plurielles. Certains retiendront le vide laissé par l'iconique masque funéraire de plus de 100 kg d'or massif, présent à l'exposition de 1967. D'autres regretteront le caractère hollywoodien de la scénographie avec son fond sonore thématique et un jeu d'éclairage obscur. Pour autant, cela ne lui enlèvera en rien son succès retentissant - instillant en chacun une fascination envers l'une des civilisations les plus riches de l'Antiquité. Là où de la mort naît la vie.
Par Danilo Lovisi, médiateur culturel et responsable de la programmation de l'Espace culturel Gacha.
La visite de l'exposition "Toutankhamon" par l'Espace culturel Gacha a été proposée dans le cadre de notre cycle Manzeù. Vous souhaitez être mis au courant de nos prochaines activités ? Restons en lien via Instagram et Facebook ou par le biais de notre newsletter.