Cette conversation eut pour cadre le musée des rois Bamoun. Ce nouveau musée, à l’architecture audacieuse, représente un serpent bicéphale enlaçant une mygale. Respectivement, le premier signifie la puissance et la vigilance. Quant au deuxième, il représente la divination par l’observation de la nature.
Cette interview se place dans la continuité du podcast Les silences bleus d’Idrissou Njoya : le Ndop d’hier, aujourd'hui. Elle s'inscrit dans la continuité des projets de l’Espace Culturel Gacha pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine, des savoir et des savoir-faire camerounais.
Aujourd’hui, nous pouvons observer que certains tissus wax impriment des motifs traditionnels, tel que le Ndop. Que pensez-vous de cet état de fait ?
Je trouve que l’aspect du Ndop qui est déjà retouché n’est plus du Ndop. Il y a le Ndop original. Parce que ce Ndop la rentre dans les rituels par exemple dans le nord-ouest il y a certains rois qu’on enterre avec le Ndop.
C’est pour cela que le Ndop prend toute sa puissance toute son aura toute sa sacralité et dans ce sens-là le Ndop traditionnel ne peut pas avoir la même valeur que le Ndop qui est fabriqué par l’industrie.
Le wax coûte moins cher que le Ndop. Cela ne devient-il pas un moyen d’acquérir l’identité du Ndop, en wax, à moindre coût ?
Je ne vois pas ça dans ce sens-là. Il y a des gens qui continuent de fabriquer le Ndop traditionnellement et ce Ndop la, a plus de valeur que ce qui peut être fabriqué par l’industrie.
Comment voyez-vous le rapport d’identité entre les textiles traditionnelles et d’autres conçus par l’industrie ?
Je pense que ça rentre dans le système de la globalité. L’art ne doit pas être fermé, il doit être dynamique. Si le textile wax vit ses beaux jours en Afrique, il devra normalement et naturellement avoir des influences de l’art africain dans ces tissus. Je pense que c’est une bonne chose de pouvoir prendre des éléments de la culture qui vient d’ailleurs et de pouvoir ajouter un peu ou bien de s’inspirer de ces éléments là pour obtenir d’autres choses. Il faut de l’ouverture et laisser place à l’originalité mais aussi à l’authenticité. Je pense que c’est comme ça que le monde devra véritablement fonctionner.
C’est dans ce sens-là que nous sommes en train de vouloir montrer autre chose du Ndop, c’est à dire le Ndop qui n’est pas confectionné de façon traditionnelle et qui fait appel à l’identité du Ndop. Ainsi, la création peut être vue sous un autre angle même si ce n’est pas du Ndop.
Vous avez évoqué précédemment, d’une certaine manière, la puissance des tissus traditionnels. Considérez-vous que ces étoffes africaines puissent apporter quelque chose ailleurs qu’en Afrique ?
Si nos pagnes et tissus peuvent aller résoudre un problème esthétique, décoratif, de protection ailleurs, je pense que c’est une très bonne chose. Je vois en cela une présentation de notre culture à l’extérieur. Il faut vendre l’image de sa culture, essayer de montrer ce que vous faites aux autres pour les y intéresser. C’est comme ça désormais que le monde devrait fonctionner. Il faut faire la diffusion de sa culture. Je ne sais pas si c’est que les anthropologues ont appelé le diffusionnisme, c’est à dire que vous appelez une culture quelque part qui se retrouve dans la culturel d’ailleurs et qui fonctionne. C'est la culture des autres et ça vient nous aider.
Idrissou Njoya peignant les murs de la cour intérieure du palais du Sultan Bamoun à Foumban.
Cela signifie que dans un contexte de mondialisation les identités ne disparaissent pas mais gagnent en fluidité. En ce sens, les historicités des étoffes traditionnelles peuvent être porteuses de solution à des questionnements éthiques en dehors de leurs aires géographiques de références. Nous évoquons ici les concepts d’hybridation culturelle/de transculturation et d’anthropophagie culturelle.
Idrissou Njoya place le continent africain et son patrimoine comme celui qui propose des solutions. Il défait l’idée de passivité, trop souvent associée à ce territoire, pour construire une nouvelle trame, où la culture africaine viendrait résoudre un problème esthétique... ailleurs.
Hybridisme culturel, anthropophagie culturelle. Des concepts de l’anthropologie qui nous aident à comprendre les arguments avancés par Idrissou Njoya. Les théoriciens latino-américains et antillais ont vécu, réfléchit et écrit sur cette question. L’Amérique latine étant vue, très souvent, comme le continent hybride par excellence.
Édouard Glissant propose un trajet à trois temps : aller-détour-retour. Le point de départ étant celui des Antilles. Le détour consiste à passer par le lieu de l’autre et le retour permet de consolider et récupérer un discours authentique.
Le deuxième modèle est celui du poète brésilien Mario de Andrade, dans son « Manifeste Anthropophagique » de 1920, où il affirme « seule l’anthropophagie nous unit » qu’elle soit sociale ou économique, et philosophique.
Il avance l’idée de l’anthropophagie culturelle, où on dilue l’idée d’un rapport vertical, avec une culture dominante contre une culture dominée. Le modèle d’Andrade nous propose une relation horizontale, où le dominé dévore aussi le dominant.
Aliou Garga (membre de l'équipe culturelle FJFG), Idrissou Njoya et Danilo Lovisi devant le musée des rois Bamoun. Foumban, 2020.
En affirmant le devoir de protection et de transmission, Njoya affirme la puissance du tissu Ndop, comme l’ensemble des tissus traditionnels, dans la création artistique contemporaine et de l’acte du savoir. Les analyses d’Idrissou Njoya entrent en écho avec la raison d’être de l’Espace Culturel Gacha.