Retour sur la conférence-débat « Du tissu Ndop à l’oeuvre d’art » de Michèle et David Wizenberg

Du 30 Mars au 30 Avril 2021

David et Michèle Wizenberg sont, parallèlement à leurs professions, diplômés en histoire de l’art et particulièrement spécialisés en matière d’arts d’Afrique, ceci dans la continuité d’amitiés très anciennes avec ce continent. C’est ainsi qu’ils ont été appelés à contribuer à la rédaction de l’ouvrage 'Ndop, étoffes des cours royales et sociétés secrètes du Cameroun' de Ly Dumas. Invités de la Fondation Jean-Félicien Gacha au Cameroun lors de son assemblée annuelle, ils ont été sollicités pour une conférence-débat avec les étudiants de l’Institut des Beaux-arts de Foumban sur le thème “Du tissu Ndop à l’œuvre d’art”.

En quoi la tenue de cette conférence faisait-elle sens pour vous ? 

 

Michèle Wizenberg -  Pour ma part il s’agissait de saisir l’occasion de cette rencontre afin d’évoquer  l’état des recherches entreprises dans l’un des abris rocheux  situé dans le Nord-ouest du Grassland, sur le plateau de Bamenda, où des tessons de poterie et des objets lithiques peints ou gravés par les hommes de la haute Antiquité sont parfois étonnamment proches de ceux trouvés ultérieurement sur différents supports, ce d’autant que les principaux motifs géométriques découverts rappellent certaines productions plastiques actuelles du Grasslan comme les tissus Ndop.    

       

David Wizenberg – Que les amateurs sachant voir les arts d’Afrique soient particulièrement rares en Europe n’a rien d’étonnant vu les restes de préjugés coloniaux. Mais lorsqu’on constate une telle difficulté chez les africains eux-mêmes, on est douloureusement surpris. Pour ma part je me suis fait un principe de saisir toutes les occasions – colloques, articles, expositions – pour aider à s’ouvrir les regards, quel que soit le public. Et quand on a l’occasion d’en parler avec des étudiants des Beaux-Arts qui sont dans la même démarche, comme ceux de Foumban, c’est un exceptionnel plaisir.   

 

Les étudiants de master lors de la conférence 

 

Dans votre apport, qu’est-ce que vous avez considéré comme le plus important ? 

 

M. W Dans le livre de Ly Dumas est cité un avis du Professeur Jean Paul NOTUE ainsi libellé « l’œil profane n’y voit qu’un décor alors que celui de l’initié en déchiffre d’emblée le sens caché »Ainsi est posée la spécificité des motifs souvent géométriques figurant sur le tissu Ndop. La question de l’agencement de ces motifs est centrale. Ceux qui figurent sur ces étoffes peuvent contenir des messages rituels, sacrés, ou relever simplement du décoratif qui, avec les évolutions, irrigue la société camerounaise. Cependant, même à des non-initiés, ils donnent le sentiment d’une appartenance à une même communauté. Nombre de civilisations ont d’ailleurs su conserver les éléments jugés structuraux de leur histoire pour les générations futures. Ainsi, certaines religions ont fait le choix d’organiser des reliques dans un état de conservation parfaite, démarche qui n’est pas en contradiction avec des évolutions de la société. Les tentures dont se parent certaines chefferies ont un caractère décoratif sans que les motifs Ndop, par exemple avec la figure de la sphère symbolique de l’univers, perdent leur sens de représentation du pouvoir royal. Il reste que les évolutions de la société (les conflits et les guerres, le rôle des femmes, l’apparition de nouvelles religions, la coexistence de l’autorité traditionnelle avec celle des représentants de l’état) entrainent des modifications dans l’utilisation de l’étoffe du Ndop.  Et si des éléments importants de cette symbolique sont utilisés sur d’autres supports que l’étoffe, c’est peut-être une des conditions de la survie de cette étoffe et de son déploiement, ainsi que sa connaissance par le plus grand nombre. 

 

D. W - En partant de la tradition des motifs du tissu Ndop et de son évolution, on peut parfaitement ouvrir la réflexion sur la question de l’art. La fonction utilitaire et rituelle du Ndop est vue sans difficulté. Son utilisation décorative, longtemps contestée, s’impose de plus en plus dans la vie du Cameroun et au-delà. Mais le temps est venu d’aller plus loin et d’y discerner de véritables œuvres créatives réalisées par des artistes inspirés. Bien entendu, comme au long de tous les siècles et dans toutes les civilisations, c’est au milieu d’une innombrable production d’objets docilement conformes à une tradition, plus ou moins répétitifs, que peuvent émerger des pièces originales, voire des chefs d’œuvre. J’avais apporté quelques clichés pour la réflexion : un tissu Ndop vibrant comme une peinture expressionniste abstraite, une composition photographique de roi siégeant en habit Ndop au milieu d’un jeu dynamique de draperies Ndop, une ancienne calebasse couverte d’un perlage de motifs inventifs d’inspiration Ndop, une création architecturale (le Zingana à Bafoussam) puissamment inspirée de motifs Ndop… On a affaire à l’émotion dans toute œuvre d’art : devant le regard impressionnant d’un masque ou terrifiant d’un autre, la fierté du dos d’une statue ou la détresse des mains qui se tordent… On trouve un grand nombre  de chefs-d’œuvre dans les arts d’Afrique, à condition de savoir VOIR. 

 

 

Voir et faire l'expérience du Ndop 

 

Quel a été le contenu principal des interventions du public ? 

 

M. W - La principale crainte exprimée par les étudiants portait sur la disparition du sens traditionnel de cette étoffe : ne faudrait-il pas s’opposer à une utilisation à caractère séculier, décoratif ou politique pour sauvegarder sa fonction rituelle… ? La préoccupation est tout à fait compréhensible mais le débat nous semble avoir fait apparaître que cette authentique contradiction n’était pas inéluctablement fatale. Au contraire, certaines utilisations évolutives dans le cadre d’événements qui ponctuent la vie, ou encore sur des supports autres que les traditionnels tissus, peuvent permettre que perdure une continuité avec la culture traditionnelle du Cameroun et son histoire. N’est-ce pas une des conditions de la survie de cette étoffe qu’elle soit portée à la connaissance du plus grand nombre ainsi que des générations futures, en harmonie avec les évolutions sociétales ? Le Cameroun n’évitera pas la mondialisation et, pour conserver le mieux possible l’étoffe Ndop qui est un élément structurant de sa culture et de son histoire, celle-ci ne peut que continuer à irriguer la société en suivant des transformations qui sont déjà à l’œuvre. 

 

D. W - Une question sur les restitutions, bien sûr, est venue très vite, ce qui pose la question, plus largement, du droit, au XXIe siècle, d’avoir sur le continent africain des musées comme dans le reste du monde. Et pas seulement pour montrer l’art d’une région, mais avec des œuvres africaines importantes, en confrontation, au milieu de pièces représentatives de tout le patrimoine mondial. Il ne faut pas se cacher que cela nécessite de grands moyens, des aides internationales conséquentes. Il est souhaitable aussi que les arts d’Afrique soient présents dans les musées du monde entier pour casser les préjugés sur « les primitifs », chose qui continue à peser dans beaucoup de pays.  Un intervenant s’étant indigné de la différence énorme entre les petits prix des objets sur le marché africain et les records atteints dans les grandes ventes internationales, il a fallu rappeler que ces sommes folles sont liées au « pédigrée » : la plupart des acheteurs sont prêts à payer n’importe quoi pour un objet même très médiocre qui a appartenu à André Breton ou Helena Rubinstein sans être capable de juger la qualité artistique, c’est le certificat qui leur plaît et pas l’œuvre. A mesure que l’on s’en donne les moyens les plus grands projets sont possibles. D’ailleurs des chefs-d’œuvre sans « pédigrée » existent dans les réserves européennes et même en Afrique, y compris au Cameroun dans de petits musées que personne ne visite… ou dans des collections privées autour de vous.  

 

Que retiendrez-vous de cette rencontre ? 

 

M. W - Cette rencontre était très intéressante en tant qu’elle porte un questionnement actuel et surtout universel. Je souhaiterais, pour ma part, pouvoir poursuivre ce débat, ce d’autant que les étudiants étaient attentifs et réactifs tout en exprimant parfois des avis différents des nôtres. A la fin du débat, les enseignants se sont plaints de ce que les étudiants ne lisent pas, ce qui nous a suggéré  l’idée d’organiser des dons d’ouvrages d’art pour développer et enrichir une bibliothèque de l’université.

 

D. W - Tout d’abord nous sommes très heureux de voir que, malgré toutes les difficultés, malgré l’importance des besoins primordiaux persistants, de telles écoles se développent en Afrique. L’art est un facteur d’ouverture sur le monde, sur la vie de tous les humains, sur notre futur. Alors, bravo !  En fin de rencontre, les enseignants nous ont rappelé que c’est le mérite de Jean-Paul Notué d’avoir créé cet institut, ce qui a réactivé notre ancien projet d’organiser un colloque en hommage à cet éminent spécialiste des arts d’Afrique, mort beaucoup trop tôt. A suivre donc. 

 

 

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