Retour d’expo : Madagascar, Arts de la Grande île

01 January - 01 March 2019

Une diversité géographique incomparable

 

Une terre d’influences culturelles et esthétiques inattendues, et ce même avant l’arrivée des Européens vers 1500. L’île de Madagascar est composée d’éléments des cultures venues d’Orient, d’Austronésie et de l’Est du continent Africain.

 

 

 

Afin de mieux comprendre la diversité de ce territoire, un détour historique se montre nécessaire : l’île que nous connaissons aujourd'hui faisait en réalité partie de la côte orientale du continent Africain. Ce fragment de près de 590 000 kilomètres carrés se détache vers l’océan Indien, donnant naissance au canal du Mozambique.

 

Cette “pirogue de pierres” subi plusieurs mouvements tectoniques au cours de sa formation particulière. On y trouve des multiples roches cristallines et sédimentaires, des forêts luxuriantes, et des nombreux points culminants, dont des volcans encore en activité. D’une pluralité de rencontres culturelles et d’une diversité géographique insoupçonnée, les arts issus de l’île de Madagascar sont les reflets de cette richesse.

 

 

 

Vase orné d’une inscription en arabe. Région de Sakaleona, Centre-Est de Madagascar. XIIIe-XVIIe siècle. Verre avec un décor à la feuille d’argent. 15,5 x 30 x 30 cm. Paris,© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain. Don Guillaume Grandidier

 

 

Un art multiple : aux sources du design malgache

 

Un art à la fois présent, profond, multiple et esthétiquement puissant. Il assure une présence constante dans le quotidien des foyers malgaches. Au sein des maisons traditionnelles, même les éléments les plus élémentaires sont ornés de décors complexes et symboliques. Les volets, les cadres de lit, les lampes et les coffres n’en sont que des exemples. Le mobilier est en général épuré, présentant des formes que l’on peut aujourd’hui associer au design.

 

 

Amulette mubara. Région de Betaly. Style merina. Fin du XIXe siècle-début du XXe siècle. Dent, bambou, tissu, verre. 32 x 12 cm. Paris, © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain.. Legs Raymond Decary

 

Les cruches remplies d’eau sont par exemple exposées à l’entrée des maisons pour que les visiteurs apprécient leur décoration, les cuillères quant à elles disposent d’étuis en vannerie conçus sous le signe de l’économie des moyens. Une économie qui ne doit pas être associée au seul manque de matières premières, mais également aux liaisons organiques et souvent minimalistes entre utilité et forme esthétique. Une sensibilité artistique à la recherche constante de nouvelles formes : que ce soit par un usage original des matières ou par la revisite des archétypes anciens pour en faire quelque chose de nouveau : un design malgache.

 

 

 

Boîte rakitse. Région de Toliara. 1988. Fibres végétales. 27 x 20 x 20 cm. Paris,© musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

 

Pouvons-nous véritablement associer le terme design à ces créations ? On relie généralement le design à une esthétique contemporaine où dialoguent des techniques innovantes et usage révolutionnaire des matières, le tout dans une démarche qui cherche à connecter l’art et l’util.

 

Placer les créations malgaches sous l’éclairage du design se justifie également grâce à  leur capacité à lier innovation esthétique et arts traditionnels. Arts définis selon l'archéologue Bako Rasoarifetra comme “expressions artistiques légitimées par l’histoire d’une population”. La présence de la mémoire et du registre des affects dans la conception des pièces occupe une place importante dans ces créations. On peut le constater avec les cuillères qui confèrent à leur possesseur une charge émotionnelle forte. Une caractéristique présente également en Afrique Centrale, selon Aurélien Gaborit, conservateur du patrimoine et commissaire de l'exposition.

 

 
Lampe. Style merina. Début du XXe siècle. Fer. 104,5 x 47 x 37 cm. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

 

 

Un art de l’invisible

 

Originellement, une partie considérable des peuples autochtones de l’île étaient hénothéistes, croyant un en seul dieu, mais faisant des offrandes et pratiquant des rituels en lien avec de nombreux esprits de la nature.



 

Amulette Sakalava Une amulette datant d’avant 1929, originaire de l’ethnie Sakalava. Gardé dans un coin sacré de la maison (Nord-Est), le « mohara » protecteur est un remède médical et magique au détenteur de ce dernier. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain.

 

L’art de l’île s’associe également aux mondes de l’au delà. Les textiles traditionnels illustrent notamment le lien entre le monde tangible et les mondes invisibles, tels les pagnes lamba. Ces tissus habillent à la fois les vivants et les morts. La symbolique est forte car ces fils, ces lignes et ces trames, sont une métaphore de la vie et de la mort, mais plus profondément de leur liaison intrinsèque. Des éléments qui ne sont d’ailleurs pas vus comme des pôles opposés, mais complémentaires. Les morts ne sont pas morts.

 



 
Étoffe rectangulaire en soie brochée de couleur, d’avant 1988, de l’ethnie merina. Le « Lamba »en soie domestique est tissé sur un métier traditionnel merina. Particulièrement porté par les hommes, plus tard il sera également utilisé comme linceul à son propriétaire. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

 

Fruits d’une forte résistance historique et politique, certaines pratiques rituelles traditionnelles sont toujours vivantes, malgré les tentatives des européens de les affaiblir durant les périodes coloniales, ou bien de nos jours avec les éléments de modernité présents dans les grandes villes de l’île.

 

L’exposition Madagascar : Arts de la Grand Île embrasse cette diversité géographique incomparable, berceau d’un art multiple, profond et puissant, donnant à voir des formes étonnantes, à la fois esthétiques et mystiques. Plus de 350 pièces qui mèlent peinture, photographie, arts décoratifs, sculpture funéraire et création contemporaine.

 

“Une île est toujours veuve d’un continent », disait Aimé Césaire, pour qui il a d’abord fallu que cette île-là épouse le monde pour pouvoir devenir elle-même. Ou plutôt s’approprier du mieux qu’elle ait pu, les cultures autres, pour en faire quelque chose de nouveau. Et d’unique.

 

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Danilo Lovisi, pour l'Espace culturel Gacha

 

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